[I Have no rights to put this out, but this is also my story that I was exluded from & I'll give more details soonish]
Since 2 June 2019, I have asked Marine Turchi, Lenaig Bredoux & all at edwy Plenel's Mediapart to view this article below as it's for subsribers only. They ignored my plea!
On 26 June 2021, it was Tw that Mediapart allowed everyone to read their articles for free "trop bien Mediapart est gratuit ce weekend!
@Mediapart"https://twitter.com/SandVanRoy/status/1408881465472032778. So I copied & pasted while I disapprove of doing so (This is also my story https://babylondonorbital.blogspot.com/2015/05/le-diable-ecoute-smiths.html):
- #METOO : LES MÉDIAS SECOUÉS PAR PLUSIEURS SCANDALES
- ENQUÊTE
Accusés de harcèlement sexuel, deux journalistes de «Télérama» licenciés
À la suite d’un audit interne, deux journalistes connus de l’hebdomadaire ont été licenciés, accusés d’agissements sexistes et de harcèlement sexuel et, dans un cas, également de harcèlement moral. Pour nombre de salarié.e.s, cet audit lève la « chape de silence et de honte » qui pesait sur le journal depuis de longues années. La direction fait son mea culpa.
Le groupe Le Monde poursuit son introspection sur les violences sexistes et sexuelles. Après les révélations qui ont secoué le Huffington Post, c’est le magazine culturel Télérama qui a été l’objet d’une enquête interne avec, à la clef, le licenciement de deux figures du journal.
La nouvelle a été annoncée lundi 27 mai à l’équipe. Il s’agit de deux signatures connues des lecteurs, Aurélien Ferenczi, un des chefs du service Écrans, et Emmanuel Tellier, grand reporter – « sur les quinze dernières années, on est les deux poumons qui avons fait ce journal », nous explique l’un d’eux.
Selon nos informations, le premier, écarté pour « faute lourde », est visé par huit témoignages de salarié.e.s actuellement en poste à Télérama, pour des faits qualifiés dans la procédure d’agissements sexistes, de harcèlement sexuel et de harcèlement moral. Le second, licencié pour « faute », a été cité par cinq personnes, pour agissements sexistes et harcèlement sexuel. Dans les deux cas, les faits reprochés s’étalent sur de longues années, et remontent pour certains à la fin des années 1990.
Ni le groupe Le Monde, ni la direction de Télérama, ni le cabinet Egae, qui a accompagné l'enquête interne, n’ont souhaité infirmer ou confirmer les motifs de leurs licenciements. Sollicitée, Caroline De Haas n’a pas répondu.
Les deux journalistes, eux, contestent les accusations les visant et annoncent des poursuites en justice. « Je conteste totalement les faits qui m’ont été reprochés. J’ai mon avis sur la procédure employée. Je donnerai ma version des faits devant les tribunaux, pas dans la presse », nous a fait savoir Aurélien Ferenczi.
De son côté, Emmanuel Tellier, rédacteur en chef jusqu'en 2011, souligne avoir été, « après dix-huit années au service du journal », « licencié pour faute, et non pas pour faute grave ». « Je reste donc en contrat avec Télérama jusqu'à fin juillet, et pour cette raison, il m'est impossible de prendre la parole à ce stade, malgré le grave différend qui nous oppose. Ceci n'a rien d'un silence contrit, c'est un temps d'attente obligatoire. Je conteste les faits qui me sont reprochés ainsi que les accusations portées contre moi. »
Il indique avoir saisi « un cabinet d'avocats pour faire valoir [ses] droits, rétablir la vérité dans ce dossier et que soient sauvegardés [son] honneur et [sa] considération d'ores et déjà mis à mal par cette mesure aussi brutale qu’injuste, et sur les motivations réelles de laquelle [il s’]interroge », dit-il.
Dimanche en fin de journée, son avocate a écrit à la direction du groupe Le Monde pour préciser que «la mesure de licenciement prise à son encontre comport[ait] un grand nombre d’incohérences (de dates, de contexte, d’environnement hiérarchique), d'approximations et interprétations, voire d’allégations mensongères, incohérences ». Elle évoque également des « pressions [qui] auraient été exercées, à plusieurs reprises, notamment auprès d’une des personnes présentées comme victimes ».
Tout commence dans le cadre des actions mises en place par l’ensemble du groupe Le Monde après l’affaire Weinstein et le mouvement #MeToo. Des formations, confiées au groupe Egae, fondé et dirigé par la militante féministe Caroline De Haas (et qui intervient également à Mediapart – voir notre Boîte noire), sont mises en place.
Plusieurs mois après, un sondage à destination des salarié.e.s est lancé. Un mail d’alerte, confié à Egae, est ouvert, alors que les révélations sur les médias se multiplient à la suite des articles sur la Ligue du LOL (scandale dans lequel l'un des journalistes de Télérama, Olivier Tesquet, était impliqué – à la différence des autres médias concernés, l’hebdomadaire ne l’a pas suspendu le temps d’une enquête).
C’est à cette adresse mail que, selon la direction, parviennent les premiers signalements. « Le 26 février, j’ai reçu un signalement du groupe Egae visant deux personnes », explique à Mediapart Catherine Sueur, la présidente du directoire de Télérama. Le 18 mars, l’enquête interne est ouverte. Elle va durer jusqu’au 26 avril. Entre-temps, les deux journalistes mis en cause ont été suspendus. Au total, plus d’une trentaine de salarié.e.s ont été entendu.e.s par la direction des ressources humaines.
« Les faits remontés dans ces deux enquêtes sont graves, a écrit Catherine Sueur dans un mail adressé à l’ensemble des équipes de Télérama, lundi 27 mai 2019, et dont Mediapart a pu prendre connaissance. Ils sont constitutifs d’agissements sexistes, de harcèlement sexuel et de harcèlement moral. Ils ont eu des conséquences très dommageables sur un certain nombre d’entre vous. C’est pourquoi j’ai pris la décision de mettre fin aux contrats de travail et de licencier les deux salariés concernés. »
Mediapart a pu s’entretenir longuement avec plusieurs salarié.e.s de Télérama, qui ont accepté de parler à condition que leur identité soit strictement préservée, tant la peur règne encore. Peur des représailles de la direction, des collègues, d’être reconnu.e, d’être perçu.e comme victime.
« C’est une rédaction qui tient par la peur », dit sans détour un journaliste. « Il y a une omerta. C’est une entreprise où on ne parle de rien », confirme l’une de ses collègues, vingt ans de maison au compteur.
L’ambiance est d’autant plus tendue que les partisans des journalistes démis ont exprimé ces derniers jours leur colère, alors que l’audit est intervenu dans une période marquée par la nomination d’une nouvelle présidente et par d’importantes tensions et rivalités internes. La rédaction est aujourd’hui divisée. Les uns se félicitent de sanctions « justifiées », posées « noir sur blanc ». Les autres crient au « complot », aux « règlements de comptes internes » et cherchent des « vices de procédure ». « Posez-vous la question : à qui profite le crime? », nous glisse-t-on du côté d’un des mis en cause.
« On entend des gens dire “n'humilions pas un homme à terre”, “comment peut-on prononcer une telle sanction, c’est leur mort sociale”, “ils ont une femme et des enfants”. Est-ce qu’on pense aux victimes qui ont témoigné ?, tempête une journaliste. Au courage qu’il leur a fallu ? À l’effet pour elles d’entendre certains propos en défense de personnes qu’elles ont dénoncées comme leurs harceleurs et que les sanctions ont reconnues comme telles ? »
Mardi 28 mai, deux responsables ont dû intervenir en réunion pour rappeler que les préoccupations de l’équipe devaient aller aux femmes ayant témoigné. « Pour nous, c’est double peine », glisse l’une d’elles. « Actuellement, le climat au journal est lourd », reconnaît Fabienne Pascaud. D’autant que certains salarié.e.s ont découvert, médusé.e.s, que la directrice de la rédaction avait eu accès à l’ensemble des témoignages.
Valérie Lehoux, journaliste à l'hebdomadaire depuis 2008, relate le « séisme interne depuis trois mois » : « Caroline De Haas a trouvé les gens dans un tel état nerveux... Les portes des bureaux se fermaient pour que les gens se parlent entre eux, certains pleuraient. On s’est rendu compte de l’ampleur des choses. Je n’avais pas imaginé qu’Unetelle, dans le bureau en face, avait été assommée de messages. Qu’une autre avait quitté le journal avec elle aussi son lot de messages insistants. Moi, on m’a dit : “Ah, mais même toi ? On n’aurait pas soupçonné.” Les gens ne se parlaient pas avant, il y avait une chape de silence et de honte. » Une autre journaliste abonde : « L’audit interne a permis d’enlever la couche de poussière et de non-dits » au sein du journal.
Celles et ceux qui ont témoigné dans le cadre de l’enquête sont encore secoué.e.s – des épisodes parfois enfouis remontent à la surface, ravivant des blessures passées et décrivant un environnement sexiste au quotidien.
« Il vous humilie, il vous met à l’écart… La direction fermait les yeux »
À propos d’Emmanuel Tellier, une journaliste qui a témoigné dans l’enquête dit : « Il m’a fait des avances tout de suite, en me faisant passer un petit mot en conférence de rédaction. Mais dès que je me suis opposée à lui, il s’est mis à faire des réflexions sexistes dégradantes et humiliantes. » Elle affirme aussi avoir été « intimidée physiquement quand il a fini par deviner qu'[elle avait] alerté la direction de la pression qu’il exerçait sur une jeune femme en CDD ». « On savait qu’il se précipitait vers les stagiaires », raconte aussi un journaliste.
Dans le cas d’Aurélien Ferenczi, plusieurs personnes racontent l’avoir entendu, pendant des années et de manière très fréquente, « faire des blagues salaces », y compris pendant les conférences de rédaction. Certains riaient, d’autres non. « Quand il voyait qu'on restait de marbre, il disait qu’on était des “pisse-froid” », rapporte une rédactrice qui a témoigné dans l’enquête interne.
« Il y a eu des blagues en réunion de rédaction pour lesquelles je l’ai mouché. Je me souviens d’une blague vaseuse récente, d’un mauvais goût terrible, sur l’endométriose, par exemple. J’en suis restée coite. C’était en permanence. Malgré #MeToo, ce genre de blagues n’a pas cessé », confirme à Mediapart la directrice de la rédaction Fabienne Pascaud.
La journaliste déjà citée rapporte l’avoir aussi entendu multiplier les allusions sexuelles. « Il racontait dans le détail des scènes de films porno, et il me demandait si ça m'excitait. Il me posait des questions sur ma vie sexuelle, et me matait en permanence », raconte-t-elle.
Elle se souvient également de commentaires sur les tenues vestimentaires des journalistes, à qui il réclamait d’être « plus sexy ». Elle évoque aussi des réflexions aux femmes du journal sur leurs seins, et d'une expression entendue par plusieurs témoins : « Tu es rudement bien lochée. »
Enfin, elle mentionne l’usage fréquent de questions comme « t'as tes règles ? », ou « c’est ta ménopause ? » pour « déstabiliser les femmes lorsqu’elles exprimaient un désaccord ». Une ancienne de la maison raconte également l’avoir entendu parler d’une « pondeuse » à propos d’une femme enceinte.
Plusieurs personnes interrogées par Mediapart rapportent des cas de souffrances au travail. « En plus des allusions sexuelles, il développait d'autres stratégies d’humiliation. Il criait, médisait, dévalorisait, faisait des reproches injustifiés, ne donnait plus de travail, ne disait plus bonjour. Jusqu’à ce que la personne se sente invisible et finisse par avoir l’impression de ne plus exister », rapporte la rédactrice déjà citée.
Elle ajoute : « Il fallait déployer une énergie immense pour continuer à travailler correctement. Sur des années, ça use, et ça laisse des traces. » « Il vous humilie, il vous met à l’écart, il vous descend par-derrière… La direction fermait les yeux. On ne guérit jamais de cela », raconte une autre salariée.
Certaines personnes ont quitté son service, voire le journal, manifestement brisées, et après en avoir parlé à la direction. Un cas est resté dans les mémoires, celui d’une assistante, partie en 2008 après de longs mois de conflit avec le chef du service cinéma.
Il s’agissait d’un « cas de remise en question permanente des capacités de l’assistante du service, explique Fabienne Pascaud à Mediapart. Il l’insultait, ne lui donnait plus de travail, la marginalisait, la mettait de côté. J’ai donc préféré changer Aurélien de fonction et je l’ai remplacé à la tête du service ».
En 2016, son comportement à l’égard du nouveau rédacteur en chef cinéma – qui quittera ensuite le journal – lui vaut un avertissement. « Aurélien a récidivé dans la remise en cause permanente, l’ironie, la moquerie. À cause de son fonctionnement clanique, le service cinéma était en grande souffrance psychique », commente Fabienne Pascaud. La directrice décide cette fois de le couper totalement du service cinéma et de le placer au service culture, directement sous sa houlette.
Aurélien Ferenczi reviendra pourtant plus tard sur le devant de la scène – à partir de septembre 2018, il fait partie des chefs du nouveau grand service « Écrans » (cinéma et TV).
C’est, entre autres, ce retour en grâce qui a convaincu de nombreux salariés de s’exprimer dans le cadre de l’enquête interne. D’autant que les « anciennes » ont cru comprendre que rien n’avait changé. « La cheffe du service radio a été absente pendant plusieurs mois, les jeunes journalistes du service nous ont dit : “On a des visites d’Aurélien qu’on n'avait pas habituellement”, relate une autre salariée. On a réalisé qu’on n’était plus sur de vieilles histoires, pour lesquelles on avait tourné la page… »
En février dernier, lorsque le scandale de la Ligue du LOL éclate, une jeune journaliste du service réagit sur son compte Twitter. Évoquant les cinq rédactions dans lesquelles elle est passée ces trois dernières années, elle explique que, presque à chaque fois, ses consœurs l’ont avertie d’un « banal » mais « surréaliste » : « Lui tu fais gaffe. Lui aussi. Et lui aussi. »
Plusieurs femmes de la rédaction disent avoir compris que « la mise en garde informelle qui se passait de femme en femme, “sois vigilante”, ne pouvait pas être une solution », résume l’une d’elles.
Mais ces deux sanctions, aussi spectaculaires soient-elles aujourd’hui, n’exonèrent pas le journal, ni son encadrement, des questions sur son éventuelle complicité, ou son aveuglement. Tous nos interlocuteurs nous l’ont dit : ils et elles ont eu le sentiment que les journalistes avaient été protégés ; que si Aurélien Ferenczi avait déjà été sanctionné par le passé, jamais cela n’avait été dit en ces termes ; que la gravité des faits était minorée ou ignorée.
Cela ne veut pas dire que tout était déjà su. « Dire que tout le monde savait, c’est comme à chaque fois dans pareil cas : tout le monde savait mais sans savoir, explique un journaliste. On avait des informations parcellaires. »
« Il y avait des soupçons, qui par défaut d’information et de formation, ont été pris trop longtemps pour des rumeurs et dont personne ne s’est chargé d’en faire des faits », confirme une journaliste en poste depuis de très longues années. Cette salariée admet avoir « entendu des choses », mais sans imaginer « l’ampleur, la récurrence et les témoignages qu’on découvre aujourd’hui ».
Il n’empêche : à plusieurs reprises, la direction avait bien été alertée. Et quand la directrice de la rédaction, Fabienne Pascaud, a affirmé lors de la présentation faite par Caroline De Haas qu’elle « tombait des nues », une partie de la rédaction a songé à quitter la salle, profondément agacée.
« Le peu que j’avais pu lui dire à l’époque, [Fabienne Pascaud] me disait : “Mais enfin, vous êtes une femme forte !” », se souvient une journaliste, qui dit avoir « timidement » tenté de signaler son cas et celui d’une CDD. La directrice de la rédaction semblait alors prendre ces remarques à la légère.
Plus généralement, si Télérama n’est pas un « journal machiste », loin de là, selon les récits recueillis, le sexisme n’y est pas franchement condamné, et le management parfois violent. « Je ne vais pas pleurer sur le départ de ces deux journalistes, explique un de leurs collègues. Mais il faut que cela enclenche un questionnement sur pourquoi ça a perduré pendant 15 ans ! Ils avaient une carte blanche implicite. »
« Je n’ai pas fait assez attention, pas su voir, pas su entendre »
Du côté de la direction, si personne ne cherche à nier une responsabilité passée, on essaie de s’en expliquer. D’abord au nom du travail fourni par les journalistes. De Ferenczi, Pascaud dit par exemple : « Au nom de ses qualités intellectuelles et de sa force de travail, j’ai souhaité lui donner une seconde chance. J’ai sans doute laissé faire trop de choses. Le problème, c’est que c’est un excellent journaliste… »
De manière générale, Fabienne Pascaud reconnaît n’avoir « pas pris la mesure de l’ampleur de ces dysfonctionnements » au sein de la rédaction. « Sur l’aspect agissements sexistes et harcèlement sexuel, je n’ai pas fait assez attention. Sans doute je n’ai pas su voir, pas su entendre, pas su décrypter une mine fatiguée, un regard douloureux, trop prise dans l’urgence du travail. Je ne cesse plus désormais de me poser des questions : pourquoi ces victimes ne sont-elles pas venues me parler ? », s’interroge-t-elle.
La directrice avance plusieurs explications. Le fait qu’avant cet audit, le journal n’avait pas été formé pour détecter le harcèlement sexuel. La difficulté, aussi, « pour les victimes d’aller dans le bureau de la directrice de la rédaction en tant que victimes. Elles pensent humiliant de dire qu’elles ont été humiliées, elles n’ont pas envie de se montrer en situation de fragilité, de désarroi. Je donne peut-être l’impression d’être une femme forte, et elles n’ont pas envie de montrer leur faiblesse ».
Elle évoque également un effet générationnel : « Est-ce à cause de mon âge – 63 ans – que je n’ai pas été assez sensible à ces problèmes ? Je fais partie d’une génération qui a tellement intégré, hélas, la misogynie au quotidien, qui a été élevée avec ça et pris l’habitude de s’en débrouiller, qu’elle a fini par faire avec, et ne presque plus s’en rendre compte. Ou s’en moquer. Nous, dans le meilleur des cas, on avait appris à régler nos problèmes avec un gifle ou une réplique insolente. Aujourd’hui, heureusement, la jeune génération de femmes ne se laisse plus faire, ne laisse rien passer. C’est formidable. On a des leçons à prendre de ces jeunes femmes de 25-30 ans. »
« C’est un peu l’école Catherine Deneuve », ajoute une autre, en soulignant que leur directrice n’est pas non plus « la reine du management ». « Elle vit, dort, mange Télérama, s’enquille des semaines de 80 heures, la qualité du titre lui doit beaucoup, mais du coup elle n'a jamais été très disponible pour l'extrarédactionnel. »
Le mea culpa de la directrice procède-t-il d'une prise de conscience sincère ou d'un positionnement opportuniste ? Depuis cet hiver, plusieurs journalistes disent avoir vu leur directrice réellement ébranlée. Certains soulignent qu’il s’agit aussi pour elle de « sauver son poste » dans un contexte de grand ménage.
« Elle a longtemps fait de la résistance à #MeToo, depuis trois mois elle est devenue plus féministe que les féministes, parce qu’elle n’a plus le choix, elle est sur un siège éjectable… », estime un journaliste.
Dans tous les cas, « cela ne se reproduira plus. Plus jamais ça », jure Fabienne Pascaud. « Avec Catherine Sueur, nous n’avons pas eu un moment d’hésitation, aucun état d’âme lorsque nous avons lu l’enquête. Nous sommes toutes les deux responsables face à la collectivité, et quand il y a treize victimes, c’est une collectivité en danger. »
La directrice de la rédaction n’est pas la seule en cause. Nombre de salarié.e.s interrogé.e.s pointent du doigt « un manque historique de DRH dans l’entreprise », une gestion des ressources humaines « défaillante » ou quasi inexistante jusqu’à présent.
« Les garde-fous qui auraient dû avoir lieu n’ont pas eu lieu, admet sans barguigner la présidente du directoire Catherine Sueur, nouvellement arrivée à Télérama. Mais la direction, les partenaires sociaux, l’encadrement, les collègues, tout le monde peut faire un signalement. La responsabilité est collective. »
En cause également, pour de nombreux salarié.e.s, la culture maison de Télérama, une gestion « familiale » et la difficulté à prononcer des sanctions qui, quand elles sont prises, sont entourées de « non-dits ».
« Les sanctions prises par le passé ont manqué d’un côté très carré, où les choses sont clairement formulées : on retirait un titre mais sans formuler de sanction en même temps, ou on formulait une sanction mais finalement on redonnait un titre, énumère une journaliste. Tout cela a créé un flou. »
Et a empêché, selon une autre journaliste, que « les plaies se referment, puisque les fautes n'avaient jamais été reconnues officiellement ». « À Télérama, on ne vire pas, le christianisme social et le droit au pardon pour certaines personnes sont très présents dans l’inconscient collectif. La direction avait tenté de trouver des solutions pragmatiques, en préservant le plus possible l'image de Télérama – et dans l'esprit d'une “rédemption” toujours possible », ajoute-t-elle.
Fabienne Pascaud le reconnaît, « à Télérama, on n’a pas la culture du mail, de la sanction. C’est le côté “familial” de l’entreprise, et sans doute un fond de culture chrétienne de gauche : on fait confiance ».
Ces agissements prennent aussi un sens particulier dans ce journal qui, bien qu’étant le magazine culturel de référence en France, a mis beaucoup de temps à s’emparer du mouvement #MeToo et des affaires de violences sexuelles touchant le monde du cinéma et de la culture. Comme Mediapart l’avait relaté, plusieurs journalistes s’étaient plaints « du traitement de l’affaire Weinstein et de son onde de choc mondiale dans le papier et sur le site », relayés auprès de la direction par leur société des journalistes (SDJ), en février 2018.
La discussion était revenue sur la table, dans une moindre mesure, au moment de l’affaire Luc Besson, au début de l’été 2018. Comme l’avait raconté Arrêt sur images, Télérama fut l’un des rares médias français à ne pas « consacrer une seule ligne » à l’affaire – malgré les récits de neuf femmes et de nombreux témoins – ni à ses répercussions dans le monde du cinéma.
Aujourd’hui, les témoignages visant deux plumes phares du journal interrogent à nouveau les raisons de ce traitement éditorial. L’hebdomadaire pouvait-il librement écrire sur des affaires de violences sexuelles et sexistes quand deux de ses journalistes, dont l’un des responsables du service cinéma, faisaient eux-mêmes l’objet d’accusations de harcèlement sexuel en interne ? Certain.e.s ont-ils été empêché.e.s ? Se sont-ils ou elles autocensuré.e.s ? Est-ce la faute de la direction ?
Au journal, les avis divergent, et il est difficile de démêler l’écheveau des responsabilités – ces derniers mois, Ferenczi et la direction se rejetaient même la faute sur ce « retard à l’allumage », selon l’expression de Pascaud.
Ces derniers mois, l’hebdomadaire a en effet changé de point de vue, en publiant par exemple une enquête sur le sexisme dans la musique, une autre sur le harcèlement sexuel dans les médias audiovisuels, un article sur « la vie d’une réalisatrice américaine » un an après #MeToo, mais aussi des entretiens avec Virginie Despentes ou l’historienne Laure Murat sur la révolution féministe, ou encore avec la comédienne Marie-Sophie Ferdane, qui dénonçait « la loi du silence » dans le cinéma français.
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Lors de la formation dispensée par Caroline De Haas, une question a marqué les salarié.e.s : « Pensez-vous qu’il y a plutôt 40 % ou 70 % des victimes qui parlent des violences subies ? », a-t-elle interrogé. « Tout le monde a répondu 40 %, relate un journaliste. Elle a dit : “Non, c’est 70 %. Les victimes parlent, mais vous n’écoutez pas”. » « Ce n’est pas la parole qui s’est libérée, c’est l’écoute, admet aujourd’hui Catherine Sueur. On n’a pas su prendre au sérieux un certain nombre de choses. Parce qu’on ne savait pas prendre ces sujets-là. »
Mediapart a longuement interviewé des salarié.e.s et dirigeant.e.s de Télérama entre lundi 27 mai et vendredi 31 mai. Ces témoignages ont nourri notre enquête, tous cependant ne sont pas cités dans l’article. Les personnes ayant témoigné lors de l’enquête interne ont demandé à rester anonymes. Fabienne Pascaud a été interviewée le 30 mai et a souhaité relire ses citations.
Nous avons proposé à Emmanuel Tellier et Aurélien Ferenczi des entretiens pour discuter point par point des éléments et témoignages les visant. Tous deux ont refusé et s’en sont expliqué dans des déclarations écrites, reproduites dans l’article et sous l’onglet Prolonger.
En 2016, à la suite de l’affaire Baupin, Mediapart a engagé une formation destinée à l’ensemble des salarié.e.s sur la prévention des violences sexistes et sexuelles. Elle a été depuis renouvelée, et est assurée par le cabinet Egae. Une formation sur la communication non violente a aussi été proposée à l’ensemble des salarié.e.s. Les salarié.e.s ont également organisé plusieurs réunions consacrées aux questions d’égalité.
À l’occasion du procès en diffamation intenté par Denis Baupin, Edwy Plenel a indiqué à la barre du tribunal que cette prise de conscience avait conduit la direction de Mediapart à prendre plusieurs mesures, visant à s’assurer que notre fonctionnement interne reflétait les valeurs défendues par notre journal. Le président de Mediapart a depuis précisé que parmi ces mesures, un licenciement avait été décidé l’an dernier.