Tuesday, 28 October 2014

Egon Schiele: The Radical Nude – jusqu’au 18 janvier 2015 @ Courtauld Gallery, Londres WC2R

Egon Schiele (1890-1918)
Two Girls Embracing (Friends), 1915
Gouache, watercolour and pencil
48 x 32.7 cm
Museum of Fine Arts, Budapest

Je reste convaincu que les grands peintres peignaient des silhouettes… Je peins la lumière qui se dégage des corps. Les travaux érotiques sont tout aussi sacrés. Egon Schiele, 1911

English version, click here

Arthur Rimbaud était présent tout le temps, là où j’habitais quand j’étais ado. La corne de l’Afrique : paradis et enfer sur terre ! Et puis, mon père a été muté près de Charleville-Mézières. Mon lycée était un ancien couvent devenu une institution stricte où le taux de réussite au Bac était aussi élevé que le taux de suicide chez les ados…

Mes nouveaux amis m’avaient présentée à Berthold Brecht, Nietzsche, Platon et aussi à Joy Division, Bauhaus et autres expériences musicales. Un jour, le plus apte au suicide du groupe me présentait le travail d’Egon Schiele. Il savait que j’avais peu d’intérêt pour le dessin ou la peinture, et pourtant je suis restée bouche bée en un coup d’œil. Il incarnait mon état d’âme : il capturait l’essence de mon être. Tristesse, esprit torturé, agonie, âme obscure, corps et visage émaciés… des grands yeux noirs ! Je me souviens lui avoir demandé si Schiele était un contemporain. Il mourait quelque 65 ans auparavant. Etant une grande admiratrice de Barbara depuis mes 12 ans, je me souviens lire les textes de Barbara by Jacques Tournier (Ed Seghers) et faire des pauses pour scruter les lignes de dessin d’Egon. Pour moi, Barbara et Schiele étaient indissociables. Les lignes les rapprochant l’un de l’autre étaient certainement La Solitude.

Egon Schiele
Seated Female Nude with Raised Arm (Gertrude Schiele), 1910
Gouache, watercolour and black crayon,
45 x 31.5 cm
Wien Museum, Vienna

Je me suis dépêchée entre la réception de la 50ème Wildlife Photographer of the Year pour aller à celle d’Egon Schiele: The Radical Nude. Tel un missile, je me suis projetée sur un territoire laissé en jachère, celui de mon esprit psycho-géographique de l’adolescence. Egon Schiele est à la Galerie Courtauld, à Londres... Arthur Rimbaud et Paul Verlaine y ont piétiné le sol de leur maisonnette, là où est érigée maintenant la tour de British Telecom.

Pendant sa courte mais urgente carrière, l’austro-hongrois-tchèque Egon Schiele est mort à 28 ans, son approche au dessin et à la peinture était à la fois crue et innovatrice. Cette exposition Egon Schiele: The Radical Nude se concentre sur son travail du nu, une collection de plus de 30 œuvres radicales rassemblées à partir de collections internationales privées ou publiques.


Before the Mirror
1913
Pencil and Gouache
48.3 x 32.1 cm
The Leopold Museum, Vienna

Très jeune, Schiele, qui était considéré par son entourage comme un enfant étrange et timide, affichait une certaine virtuosité quant au dessin. A 15 ans, son père mourait de syphilis et il était placé sous la tutelle de son oncle maternel. A 16 ans, il fuguait avec sa sœur Gertrude de 12 ans pour dormir à l’hôtel. Il avait à plusieurs reprises auparavant affiché un intérêt incestueux envers celle-ci.
A partir de 1907, il devenait le protégé de Gustav Klimt et en 1908, il avait sa première exposition à Klosterneuburg.

Dès 1910 à Vienne, Schiele avait produit un nombre considérable de dessins d’hommes et femmes nus. Pourtant, en 1911, la haute bourgeoisie de la capitale l’oppressait tant qu’il partait vivre avec son amie de 17 ans Wally Neuzil à Neulandbach, à 35 km ouest de Vienne. Il y menait un style de vie plutôt peu conformiste – pas marié et des amourettes ouvertes – et son usage de modèles mineur(e)s attiraient l’hostilité de la population locale. En 1912, il était arrêté et détenu pour désordre moral (séduction et abduction). Schiele a connu 24 jours de prison alors que les autorités lui confisquait (et ont probablement détruit) au moins 100 œuvres considérées pornographiques – on sait qu’un de ses dessins a été brulé par un juge lors du procès.

Egon Schiele (1890-1918)
Woman with Black Stockings, 1913
Gouache, watercolour and pencil,
48.3 x 31.8 cm
Private collection, courtesy of Richard Nagy, London

Les sujets de prédilection d’Egon Schiele étaient le portrait, le paysage mais le nu restait avant tout son répertoire artistique. La Première Guerre Mondiale avait réduit son travail frénétique. Il florissait à nouveau à partir de 1917 lorsque les collectionneurs commençaient à acheter son travail. Sa femme enceinte de six mois mourait le 28 octobre 1918 de la Grippe Espagnole. Trois jours plus tard, Schiele succombait du même sort alors qu’il était sur le point de devenir un des artistes marquant du siècle tournant.

30 ans après mes premières présentations au maitre Schiele, me voila, debout devant de nouvelles émotions. Un homme qui se voyait martyr, dépendant du sexe. Une obsession que l’on pourrait comparer aujourd’hui au film Shame de Steve McQueen. Schiele lui-même se comparaissait au martyr de Saint Sébastien (dont Derek Jarman se référait également).

Avant Egon Schiele, le nu était peint par les grands maitres, mais peut-être de façon plus passive. Ici, voire en son temps, Schiele donnait une dimension au nu plus « agressive ». Non seulement il ajoutait un pouvoir extraordinaire aux femmes, celui du control de leur vagin et de leur sexualité, mais aussi, Schiele compliquait cette sensation érotique puisqu’il exagérait parfois l’usage des couleurs non-réalistes en fusionnant l’artifice et la réalité : la violence du bleu et du rouge qui recouvre une peau presque en décomposition sur des corps squelettiques. Comme si Schiele extirpait la mort d’un corps vivant… comme s’il annihilait le poison qui lui pourrissait l’esprit.

 Egon Schiele (1890-1918)
Erwin Dominik Osen, Nude with Crossed Arms, 1910
Black chalk, watercolour and gouache
44.7 x 31.5 cm
The Leopold Museum, Vienna

Jamais, il n’utilisait une gomme ou ne corrigeait son travail. Ses lignes fines et angulaires étaient des premiers jets qui enfermaient un corps tout en cassant les tabous sociaux et artistiques de l’époque. Vienne était une capitale bourgeoise et respectable qui abritait un monde clandestin de prostituées posant pour Schiele. Une de ses œuvres les plus remarquables (à mon avis) est celle intitulée  Crouching Woman with Green Kerchief (Femme accroupie avec écharpe verte) : une femme nue et intrigante avec des bas gris et des mi bottes à haut talons, la tête recouverte d’une écharpe verte très criarde. On y voit presque une refugiée Afghane d’un camp Pakistanais comme l’avait photographiée Steve McCurry en 1984, mais il s’agit ici du bas-ventre de Vienne où Schiele cherchait refuge à travers ses frasques sexuelles.

Egon Schiele (1890-1918)
Crouching Woman with Green Kerchief, 1914
Pencil and gouache
47 x 31 cm
The Leopold Museum, Vienna

Il puisait son inspiration dans le mouvement, qu’il soit de la danse, du mime ou du théâtre. Il amputait facilement les membres des corps de façon cruelle ou décharnait les corps en donnant aux visages des expressions désespérées. On y trouve malgré tout une vitalité inhérente et une beauté esthétique plutôt rares qui ont façonné son travail de « silhouettes ». Parfois, Schiele nous oblige à être des spectateurs voyeurs lorsqu’il nous confronte à ses jeux de miroir ou alors en nous faisant incliner la tête pour examiner sa signature à 90° afin d’apprécier son travail sous un autre angle. Ce précurseur de Lucian Freud ou de Francis Bacon en termes de corps décadents nous invite à sa danse macabre des corps peu flatteurs qui mettent en exergue son self érotique névrotique…

Schiele était un contemporain de Klimt, d’Arthur Schnitzher et de Sigmund Freud à une époque ou l’exploration de la nature fondamentale du désir humain était la tendance de Vienne du siècle naissant.

Egon Schiele (1890-1918)
Nude Self-Portrait in Gray with Open Mouth, 1910
Black chalk and gouache, 44.8 x 32.1 cm
The Leopold Museum, Vienna

Son Nude Self Portrait in Gray with Open Mouth (Self portrait nu en gris avec bouche ouverte) incarne l’anxiété par excellence. Il nous crie sa tourmente… et je me demande maintenant s’il se reflète en moi ou si je me reflète en lui !

Egon Schiele: The Radical Nude est une opportunité unique d’analyser le travail d’Egon Schiele (voire vous-même) : aucun musée britannique n’enferme une seule de ses œuvres… qui résonnent encore aujourd’hui.

Egon Schiele: The Radical Nude
23 octobre 2014 au 18 janvier 2015
The Courtauld Gallery, Somerset House, Strand, London WC2R 0RN

Woman in Boots with Raised Skirt
1918
Black crayon
43.5 x 28 cm
Private collection c/o Richard Nagy

Ouverture :
Tous les jours 10h – 18h (dernière admission 17h30)
Ouvertures tardives (18h-21h) jeudi 27 novembre 2014 et 15 janvier 2015
Fermé le 25 et 26 décembre, dernière admission à 15h30 le 24 décembre
Tickets disponibles sur www.courtauld.ac.uk/schiele
Prix £8.50* (tarifs réduits disponibles)

The exhibition sponsors are Lexington Partners and Swarovski.

Sybille Castelain for babylondonorbital@gmail.com



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