Egon Schiele (1890-1918)
Two Girls Embracing (Friends), 1915
Gouache, watercolour and pencil
48 x 32.7 cm
Museum of Fine Arts, Budapest
Je reste convaincu que les
grands peintres peignaient des silhouettes… Je peins la lumière qui se dégage
des corps. Les travaux érotiques sont tout aussi sacrés. Egon Schiele, 1911
Arthur Rimbaud était présent tout le temps, là où j’habitais
quand j’étais ado. La corne de l’Afrique : paradis et enfer sur terre !
Et puis, mon père a été muté près de Charleville-Mézières. Mon lycée était un
ancien couvent devenu une institution stricte où le taux de réussite au Bac était
aussi élevé que le taux de suicide chez les ados…
Mes nouveaux amis m’avaient présentée à Berthold Brecht, Nietzsche,
Platon et aussi à Joy Division, Bauhaus et autres expériences musicales. Un jour, le plus apte au
suicide du groupe me présentait le travail d’Egon Schiele. Il savait que j’avais
peu d’intérêt pour le dessin ou la peinture, et pourtant je suis restée bouche bée
en un coup d’œil. Il incarnait mon état d’âme : il capturait l’essence de
mon être. Tristesse, esprit torturé, agonie, âme obscure, corps et visage émaciés…
des grands yeux noirs ! Je me souviens lui avoir demandé si Schiele était un
contemporain. Il mourait quelque 65 ans auparavant. Etant une grande
admiratrice de Barbara depuis mes 12
ans, je me souviens lire les textes de Barbara
by Jacques Tournier (Ed Seghers) et faire des pauses pour scruter les
lignes de dessin d’Egon. Pour moi, Barbara et Schiele étaient indissociables. Les
lignes les rapprochant l’un de l’autre étaient certainement La Solitude.
Egon Schiele
Seated Female Nude with Raised Arm (Gertrude Schiele), 1910
Gouache, watercolour and black crayon,
45 x 31.5 cm
Wien Museum, Vienna
Je me suis dépêchée entre la réception de la 50ème Wildlife Photographer of the Year pour aller à celle d’Egon Schiele: The Radical Nude. Tel un
missile, je me suis projetée sur un territoire laissé en jachère, celui de mon
esprit psycho-géographique de l’adolescence. Egon Schiele est à la Galerie
Courtauld, à Londres... Arthur
Rimbaud et Paul Verlaine y ont piétiné le sol de leur
maisonnette, là où est érigée maintenant la tour de British Telecom.
Pendant sa courte mais urgente carrière, l’austro-hongrois-tchèque Egon
Schiele est mort à 28 ans, son approche au dessin et à la peinture était à la
fois crue et innovatrice. Cette exposition Egon
Schiele: The Radical Nude se concentre sur son travail du nu, une
collection de plus de 30 œuvres radicales rassemblées à partir de collections
internationales privées ou publiques.
Before the Mirror
1913
Pencil and Gouache
48.3 x 32.1 cm
The Leopold Museum, Vienna
Très jeune, Schiele, qui était considéré par son entourage comme un enfant étrange
et timide, affichait une certaine virtuosité quant au dessin. A 15 ans, son père
mourait de syphilis et il était placé sous la tutelle de son oncle maternel. A
16 ans, il fuguait avec sa sœur Gertrude de 12 ans pour dormir à l’hôtel. Il avait à
plusieurs reprises auparavant affiché un intérêt incestueux envers celle-ci.
A partir de 1907, il devenait le protégé de Gustav Klimt et en 1908, il avait sa première exposition à Klosterneuburg.
Dès 1910 à Vienne, Schiele avait produit un nombre considérable de dessins
d’hommes et femmes nus. Pourtant, en 1911, la haute bourgeoisie de la capitale
l’oppressait tant qu’il partait vivre avec son amie de 17 ans Wally Neuzil à Neulandbach, à 35 km
ouest de Vienne. Il y menait un style de vie plutôt peu conformiste – pas marié
et des amourettes ouvertes – et son usage de modèles mineur(e)s attiraient l’hostilité
de la population locale. En 1912, il était arrêté et détenu pour désordre moral
(séduction et abduction). Schiele a connu 24 jours de prison alors que les autorités
lui confisquait (et ont probablement détruit) au moins 100 œuvres considérées
pornographiques – on sait qu’un de ses dessins a été brulé par un juge lors du procès.
Egon Schiele (1890-1918)
Woman with Black Stockings, 1913
Gouache, watercolour and pencil,
48.3 x 31.8 cm
Private collection, courtesy of Richard Nagy, London
Les sujets de prédilection d’Egon Schiele étaient le portrait, le paysage
mais le nu restait avant tout son répertoire artistique. La Première Guerre Mondiale
avait réduit son travail frénétique. Il florissait à nouveau à partir de 1917
lorsque les collectionneurs commençaient à acheter son travail. Sa femme
enceinte de six mois mourait le 28 octobre 1918 de la Grippe Espagnole. Trois jours
plus tard, Schiele succombait du même sort alors qu’il était sur le point de
devenir un des artistes marquant du siècle tournant.
30 ans après mes premières présentations au maitre Schiele, me voila,
debout devant de nouvelles émotions. Un homme qui se voyait martyr, dépendant
du sexe. Une obsession que l’on pourrait comparer aujourd’hui au film Shame de Steve McQueen. Schiele lui-même se comparaissait au martyr de Saint Sébastien (dont Derek Jarman se référait également).
Avant Egon Schiele, le nu était peint par les grands maitres, mais peut-être
de façon plus passive. Ici, voire en son temps, Schiele donnait une dimension
au nu plus « agressive ». Non seulement il ajoutait un pouvoir
extraordinaire aux femmes, celui du control de leur vagin et de leur sexualité,
mais aussi, Schiele compliquait cette sensation érotique puisqu’il exagérait
parfois l’usage des couleurs non-réalistes en fusionnant l’artifice et la réalité :
la violence du bleu et du rouge qui recouvre une peau presque en décomposition
sur des corps squelettiques. Comme si Schiele extirpait la mort d’un corps vivant…
comme s’il annihilait le poison qui lui pourrissait l’esprit.
Egon Schiele (1890-1918)
Erwin Dominik Osen, Nude with Crossed Arms, 1910
Black chalk, watercolour and gouache
44.7 x 31.5 cm
The Leopold Museum, Vienna
Jamais, il n’utilisait une gomme ou ne corrigeait son travail. Ses lignes
fines et angulaires étaient des premiers jets qui enfermaient un corps tout en
cassant les tabous sociaux et artistiques de l’époque. Vienne était une
capitale bourgeoise et respectable qui abritait un monde clandestin de prostituées
posant pour Schiele. Une de ses œuvres les plus remarquables (à mon avis) est
celle intitulée Crouching Woman with Green Kerchief (Femme accroupie avec écharpe verte) : une femme nue et intrigante
avec des bas gris et des mi bottes à haut talons, la tête recouverte d’une écharpe
verte très criarde. On y voit presque une refugiée Afghane d’un camp
Pakistanais comme l’avait photographiée Steve
McCurry en 1984, mais il s’agit ici du bas-ventre de Vienne où Schiele cherchait
refuge à travers ses frasques sexuelles.
Egon Schiele (1890-1918)
Crouching Woman with Green Kerchief, 1914
Pencil and gouache
47 x 31 cm
The Leopold Museum, Vienna
Il puisait son inspiration dans le mouvement, qu’il soit de la danse, du
mime ou du théâtre. Il amputait facilement les membres des corps de façon
cruelle ou décharnait les corps en donnant aux visages des expressions désespérées.
On y trouve malgré tout une vitalité inhérente et une beauté esthétique plutôt rares
qui ont façonné son travail de « silhouettes ». Parfois, Schiele nous
oblige à être des spectateurs voyeurs lorsqu’il nous confronte à ses jeux de
miroir ou alors en nous faisant incliner la tête pour examiner sa signature à
90° afin d’apprécier son travail sous un autre angle. Ce précurseur de Lucian Freud ou de Francis Bacon en termes de corps décadents nous invite à sa danse
macabre des corps peu flatteurs qui mettent en exergue son self érotique névrotique…
Schiele était un contemporain de Klimt,
d’Arthur Schnitzher et de Sigmund Freud à une époque ou l’exploration
de la nature fondamentale du désir humain était la tendance de Vienne du siècle
naissant.
Egon Schiele (1890-1918)
Nude Self-Portrait in Gray with Open Mouth, 1910
Black chalk and gouache, 44.8 x 32.1 cm
The Leopold Museum, Vienna
Son Nude Self Portrait in Gray with
Open Mouth (Self portrait nu en gris
avec bouche ouverte) incarne l’anxiété par excellence. Il nous crie sa
tourmente… et je me demande maintenant s’il se reflète en moi ou si je me
reflète en lui !
Egon Schiele: The Radical
Nude est une opportunité
unique d’analyser le travail d’Egon Schiele (voire vous-même) : aucun musée
britannique n’enferme une seule de ses œuvres… qui résonnent encore aujourd’hui.
Egon Schiele: The Radical Nude
23 octobre 2014 au 18 janvier 2015
The Courtauld Gallery, Somerset
House, Strand, London WC2R 0RN
Woman in Boots with Raised Skirt
1918
Black crayon
43.5 x 28 cm
Private collection c/o Richard Nagy
Ouverture :
Tous les jours 10h – 18h (dernière admission 17h30)
Ouvertures tardives (18h-21h) jeudi 27 novembre 2014 et 15 janvier 2015
Fermé le 25 et 26 décembre, dernière admission à 15h30 le 24 décembre
Tickets disponibles sur www.courtauld.ac.uk/schiele
Prix £8.50* (tarifs réduits disponibles)
The exhibition sponsors are
Lexington Partners and Swarovski.
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